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Rock Times

Rock Times: juin 2009

30/06/2009

Wilco - « Wilco (The Album) » - Nonesuch




« Wilco will love you, baby »


C'est donc un chameau qui orne la pochette du nouvel album de Wilco. Et les six chaises devant l'animal sont celles des musiciens du groupe qui ont souhaité souligner la constance de leur line-up – depuis 2004 – en baptisant leur dernier sorti « Wilco (The Album) » : onze titres à la fois disparates et inégaux.

Jeff Tweedy, le leader de Wilco depuis quinze ans maintenant, a déclaré à propos du nouvel album de son groupe qu'il était semblable à un assortiment de chocolats. Mais l'ennui avec les assortiments c'est qu'il y en a toujours dans le lot qu'on n'aime moins. Pour « Wilco (The Album) », c'est un peu la même chose.

Tous azimuts. Parmi les onze titres de l'album, quelques uns se détachent par l'efficacité de leur composition. One Wing se construit pas à pas : chaque instrument qui s'ajoute au morceau créant une tension et un suspens supplémentaires. Le souffle est retenu jusqu'à l'envol final dans un poignant solo de guitare. Car le groupe a le bon goût d'agrémenter quelques morceaux (One Wing, Sunny Feeling) de solos – façon Wilco – exécutés ici magistralement par le guitariste Nels Cline. L'orchestration de Everlasting s'enrichit aussi graduellement jusqu'à une ultime explosion jouissive. Mais c'est Bull Black Nova qui saisit et remue le plus. Comme dans Spiders (Kidsmoke) de « A Ghost Is Born » une pulsation continue rythme le morceau qui progresse autour d'une note obsédante inlassablement répétée. La chanson qui adopte le point de vue d'un homme qui a tué sa petite amie laisse filtrer une folie et une violence qui se répandent et glacent les sangs. « I can't calm down / I can't think » s'écrie le chanteur à la voix un peu rauque. Ses cris se mêlent aux riffs dissonants et laissent une impression troublante. Enfin, épurée comme Solitaire et Country Disappeared, la ballade You And I, où Tweedy et Feist se répondent, succède à la chanson cauchemar et apaise l'atmosphère.
Ces beaux titres – pas non plus d'une originalité folle – viennent avec des morceaux beaucoup plus anecdotiques qui gâtent l'assortiment. Deeper Down, truffé d'arrangements et d'effets, perd l'attention de son auditeur à force de ponctuer chaque phrasé de trop longs silences. Dans You Never Know, le tempo, les chœurs dans les refrains, et les paroles (« I don't care anymore »), peinent à convaincre. Pour les mêmes raisons, quand le chanteur serine « I'll fight for you / I'll kill for you »... dans I'll Fight, on n'y croit pas une seconde.

A l'écoute de cet album, on pourrait se mettre à épiloguer sur les influences de la dépression sur la créativité. Pour mémoire, l'excellent et expérimental « A Ghost Is Born » (2004) remonte à une période douloureuse de la vie de Tweedy. Ici, « Wilco (The Album) » débute avec Wilco The Song (histoire d'enfoncer le clou), une ode aux vertus thérapeutiques de la musique du groupe... sur le mode de l'auto-dérision, qu'on se rassure. Quoiqu'il advienne, « Wilco will love you, baby ». Alors, tout va bien ?

Céline M.


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John & Jehn - « John & Jehn » - Faculty




Love & Roll


Ils sont deux, on l’aura compris. John et Jehn... Elle, lui, son reflet et son contraire. En noir et blanc. Ils sont français, vivent en couple, en amoureux, à Londres, mais semblent hors du temps et de l’espace. Ce premier album éponyme est à leur image : double, frais et venimeux à la fois.

La pochette cartonnée les donne à voir recto-verso, chacun sa face, dessinés façon tatouage – parce qu’il arrive qu’on ait l’autre dans la peau – et la gueule amochée parce que parfois l’amour fait mal. Coquetterie jusqu’au-boutiste, alors que l’industrie fait sa crise, chacun a droit à son propre cd, les dix titres équitablement répartis comme on se partage un butin : une face John et une face Jehn. Lui donc, visage taillé à la serpe, regard sombre et pommettes hautes, elle, brune de jais, pureté étrange et innocence trouble… John et Jehn sont jeunes, beaux, magnétiques. Lui râpe les guitares, elle caresse l’orgue et la basse. Et la boîte à rythme d’égrener le compte à rebours…




Ambivalence. L’album par la force des choses, creuse le sillon de la dualité. Deux parties : autant de manières de rentrer dedans, c’est selon. Et en même temps, pas vraiment de début ni de fin. La face Jehn succède à la face John qui succède à la face Jehn… En cercle fermé. Dualité des sonorités parfois naïves bousculées par des voix chargées et nuageuses, des guitares organiques qui se frottent à des boucles synthétiques (1,2,3) ; et les instruments qui viennent chahuter leurs chants, des fois que les harmonies deviendraient trop complices… Quand l’un est pop, l’autre est rock, quand l’un est doux, l’autre est dur. A l’unisson, des étincelles jaillissent.
20L07 : c’est le single du côté de chez Jehn. « Twenty is for your age / L is for your Love / Seven for Heaven ». Hell is for your love, croirait-on entendre… Le tout sur un accompagnement anachronique, comme déterré d’un jeu vidéo préhistorique, boîte à rythme cheap, sur laquelle s’ébattent voix, orgue, et harmonica. Fear Fear Fear, l’autre single, est son symétrique face John : orgue sixties, guitares lointaines et tortueuses, la même force dans le refrain.

« Plus d’amour ». Il y a ici et là quelque chose du Velvet Underground (Survive ; You, Far Away), à la fois bruitiste et mélodique, avec Jehn dans le rôle de Nico et/ou Moe Tucker. 1,2,3 voit l’incursion du français : « plus d’amour », « plus de sensations » clame John, « not for me » répond Jehn. On les soupçonne de se bagarrer et d’adorer ça… John et Jehn réhabilitent le couple comme un truc excitant à la Barrow-Parker. Le contraste se poursuit jusque dans The Fall, acoustique et éthéré, qui laisse entrer en douceur la lumière de l’aube, comme après une nuit agitée. Ces deux là ont bien le droit de s’aimer après tout…

John et Jehn ont réalisé, à deux, un album charnel et tendu, pas un disque banal comme il s’en gondole sur les étales. Un clair-obscur tangible, fragile et beau, où se planquent aussi des douleurs, là-bas derrière, avec les stridences hérissées…

Flavien Giraud

John & Jehn on Myspace
Site officiel de John & Jehn

Voir aussi l'interview de John et Jehn,

les photos et le live report du concert du 9 juin 2009 à La Maroquinerie.

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John & Jehn : Interview




Rock'n'roll en noir et blanc


Ils sont affables, gais et souriants, se coupent, se complètent, lorsqu’ils ne parlent pas tout simplement d’une seule voix ; les jeunes John et Jehn, couple français le plus sexy de Londres, racontent leur parcours, leur musique, leurs projets…


Quand et comment avez-vous décidé de quitter votre Poitou d’origine pour Londres ?
Jehn : Sur un coup de tête, plus ou moins. On était très satisfaits de l’expérience de nos premiers enregistrements ensemble, et puis celle qui est devenue notre manageuse et que je connais depuis longtemps, vit à Londres et nous a accueillis chez elle. Il n’y avait rien de prévu, c’était une opportunité qu’il fallait saisir.

Votre deuxième album est en route, à quel stade de la composition en êtes-vous ?
John : On doit en être à six titres. Ça va être différent du premier : quelque chose de plus groovy, de plus arrangé… On se fait plaisir, on s’est dit de manière logique : « il faut qu’on évolue, qu’on améliore notre son, qu’on améliore nos chansons, qu’on améliore nos textes, qu’on améliore tout » ! On va enregistrer cet été dans une ferme à côté d’Angoulême. On se pose avec notre matos, et on enregistre tout nous-mêmes, dans un endroit calme, dans les mêmes conditions que le premier, c'est-à-dire en home studio : on ne change pas notre manière de travailler, on est toujours tous les deux, avec notre ingénieur du son, on ne fait pas appel à un producteur…

Est-ce que le rock’n’roll vous ronge ? Les clips et les photos de vous sont de plus en plus sombres, de plus en plus durs…
Jehn : Ce n’est pas vraiment voulu.
John : Ce n’est pas une esthétique rock’n’roll qu’on a cherché dans tout ça au final. Et le rock’n’roll, c’est plus une célébration de la vie qu’une célébration de la mort… Sur scène, on n’est pas particulièrement glauques, on parle aux gens, on ne se donne pas une image « gothique »… Le noir et blanc, le contraste, ça a été une manière simple de travailler, aller tout de suite à l’essentiel. C’est une manière de raconter des histoires, qui sont souvent très manichéennes : il y a la mort, la vie, c’est toujours très simple…
Jehn : C’est un peu comme Joy Division : c’est quelque chose sur lequel on s’est retrouvés, à notre rencontre, mais nous on dansait dessus ! Ce qui nous plait c’est de pouvoir danser sur un texte sombre. Parce que c’est bien qu’il y ait des ambigüités et des choses très différentes comme ça qui s’entrechoquent.

C’est presque devenu une sorte de marque de fabrique, le noir et blanc, les deux faces du disque… et ça donne en même temps un côté très cohérent…
Jehn : Mais c’était complètement inconscient en fait.
John : Je crois qu’on est assez obsédés par les contrastes en général. On aime bien jouer sur deux aspects des choses, le bien/le mal, le moins/le plus, le blanc/le noir, et tout ce qu’il y a au milieu, c’est la musique, les textes…




Comment gérez-vous la mise en scène de votre couple ? N’avez-vous pas eu peur de perdre le contrôle ?
John : Non, ça a été totalement sans complexe, on n’a pas du tout pensé que ça pouvait nous nuire en tant que couple, c’était quelque chose qu’on avait là, qui était d’une évidence folle. Et ça a permis de faire une identification assez forte du groupe dès le début.
Jehn : C’est universel le couple, quelque chose auquel les gens peuvent se rattacher facilement. Mais ce n’est pas qu’une image, on ne l’invente pas, c’est quelque chose de vrai.
John : Oui, il y a les textes qui font référence à ça : 20L07, Oh My Love… Mais c’est juste une manière fun d’aborder les choses. Notre vie privée reste privée, mais on aime bien mettre en scène une partie de tout ça, s’amuser avec…

Vous avez composé une bande originale pour un vieux film muet…
Jehn : Oui, en fait c’était une performance pour le festival C’est Dans La Vallée qui est programmé par Rodolphe Burger et une super nana qui s’appelle Valérie, qui organise des ciné-concerts depuis sept ans. Ils ont pensé à nous pour faire la musique d’un vieux film muet avec Louise Brooks, « Le Journal d’une Fille Perdue », un vieux film de Pabst. On est content de l’avoir enfin joué. C’est une heure quarante-cinq de musique, et ça nous a pris un temps monstrueux à créer et à répéter. Il y a du piano, c’est beaucoup plus acoustique que ce qu’on fait en live d’habitude. Et on a fait une belle découverte avec Louise Brooks, on est vraiment tombés amoureux de cette actrice, de son parcours…




Ça évoque un peu ce que faisait le Velvet Underground avec Andy Warhol à la Factory, des performances live avec des projections, etc.
John : On n’y a pas pensé. En ce qui nous concerne, c’était très réglé, on n’a fait que jouer sur le film, il n’y avait pas de concept…
Jehn : On n’a pas cherché à faire quelque chose d’expérimental ou d’incompréhensible, au contraire, on a voulu être très premier degré. On voulait vraiment coller au film, aux émotions du personnage. C’est très adolescent, avec des sentiments premiers…

Comment avez-vous rencontré les groupes de la scène underground londonienne comme Joe Gideon & The Shark ?
Jehn : On les a rencontrés à Londres, complètement par hasard, dans un bar où ils jouaient. On a adoré et on a été leur dire après le concert. Après ça a été une grande histoire, on a fait pas mal de dates ensemble, on se respecte beaucoup mutuellement, musicalement et humainement. On est devenus très proches, mais ça s’est fait par la musique, c’est ça qui est bon dans ces histoires-là. Idem avec Archie Bronson Outfit, ça s’est fait par la musique…

John, comment t’es tu retrouvé à suivre Nick Cave en tournée ?
John : Par la connexion avec Joe Gideon & The Shark justement. Ils faisaient la première partie et Viva, la batteuse, m’a demandé d’être son roadie personnel (rire), parce qu’elle a un tel merdier sur scène ! C’était génial, j’ai vu ce qui est pour moi le meilleur groupe vivant au monde : les Bad Seeds sont absolument incroyables, je n’ai jamais rien vu de mieux je crois.

Parlons de vos inspirations… vous parliez de Joy Division tout à l’heure…
John : Joy Division a peut-être été un point de départ, un point d’accroche entre nous, et mon précédent groupe était très axé là-dessus, mais quand j’ai rencontré Jehn, on s’en est éloigné… C’est une inspiration parmi tant d’autres. On adore Lee Hazlewood et Nancy Sinatra, par exemple. On écoute beaucoup de choses différentes, ça va des années 80, des trucs les plus cheesy aux trucs bien underground. On a aussi beaucoup appris de British Sea Power avec qui on a tourné. Pour notre prochain album, on se dirige vers des choses qui donnent envie de danser aux gens, de participer, de taper dans les mains… Pas du festif, loin de là, mais faire s’ouvrir les gens, ce serait pas mal…


Propos recueillis par Flavien Giraud

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24/06/2009

Furia Sound Festival - 4/5 juillet - Cergy-Pontoise




Effervescence à la Base de loisirs


Les 4 et 5 juillet prochains, la Base de loisirs de Cergy-Pontoise accueillera la 13e édition du Furia Sound Festival. Avec une programmation riche et variée; rock, reggae, chanson française ou encore hip-hop, cette nouvelle édition devrait à coup sûr faire le plein de spectateurs.


Cette année encore, les verdoyantes collines de la Base de loisirs de Cergy-Pontoise seront le théâtre d’une trentaine de concerts en deux jours. Comme à l’accoutumée, les artistes seront répartis sur deux scènes et un chapiteau. Côté grande scène, le public pourra, dès le samedi, apprécier les prestations d’Anis, Grand Corps Malade, Abd Al Malik, Steel Pulse ou encore de Capleton. La deuxième scène ne sera pas en reste, puisque Gabriella Cilmi, Pascal Picard Band, Arthur H et The Go! Team sont également programmés pour cette journée d’ouverture. Enfin, sous le chapiteau, place aux découvertes avec l’élecro-rock d’Housse de Racket, Secret Chief 3 et Zone Libre Vs Casey & Hame, groupe mélangeant rock et hip-hop dans lequel figure le guitariste de Noir désir, Serge Teyssot-Gay. Une courte nuit de sommeil et les concert reprendront de plus belle le dimanche où Kylesa, Torche, Isis et Suicidal Tendencies sont attendus sous ce même chapiteau. Sans surprise, les plus grandes formations se produiront sur les deux plus grandes scènes. Ainsi, Tunng, Emiliana Torrini, Herman Dune ou encore les Ecossais psychédéliques de Mogwai sont programmés sur la scène n°2. Quant à Didier Super, La Rue Kétanou, Thomas Fersen, Thomas Dutronc et Gossip, tous auront l’honneur de se produire sur la plus grande scène.

Florian Garcia

Site officiel du Furia Sound Festival
Furia Sound Festival on Myspace

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23/06/2009

The Warlocks - « The Mirror Explodes » - Tee Pee Records




Le miroir du mal


Une cuite monumentale. Bienvenue en enfer, bienvenue dans les abysses. Bienvenue dans un monde de distorsion, de désolation et de désespoir. Bobby Hecksher, l’âme, le cœur palpitant et atrophié des Warlocks, a ouvert la boîte de Pandore dont suinte une semence aux reflets de pétrole. Le résultat, « The Mirror Explodes », est une chimère, musique de la tourmente, oppressante et hagarde.

Red Camera, le premier titre, renvoie immédiatement à l’univers vénéneux des Warlocks : introduction de guitare obstinée à marquer tous les temps puis fleurissement noir de larsens et de saturation avant que basse et batterie ne se mettent à leur tour à l’heurter d’un martèlement de fer. Quelque part, perdue, la voix d’Hecksher tend de plus en plus vers la psalmodie de gourou psychiatrique en pleine odyssée bad trip barbiturique. Noirceur totale. Puis The Midnight Sun renoue avec les lumières de la nuit, vacillantes, floues, planant au-dessus d’un désespoir compagnon d’infortune.

Descente aux enfers. Comme il semble loin le temps des premiers ébats de ces sorciers de l’ombre. Les Warlocks n’ont jamais fait dans le guilleret, mais les déjà hallucinés « Rise And Fall », « Phoenix » et autre « Surgery » semblent presque légers à l’aune de leurs deux dernières œuvres. Car « The Mirror Explodes » continue l’exploration du gouffre ouvert par le précédent, « Heavy Deavy Skull Lover ». Si ce dernier était un diamant noir, ici ne restent que les cendres. Carbonisées.

Bande-son de cauchemars, violence apathique, errance urbaine, guitares lâchées sans bride rognant les amplis de feedback, et soudain, petit miracle, une mélodie céleste en suspens, remontée en surface, à bout de souffle (There Is A Formula To Your Despair, Static Eyes). On retrouve un peu de la lumière de So Paranoid et Dreamless Days qui rayonnait au milieu de « Heavy Deavy Skull Lover ». S’en suit une redescente en eaux troubles, menaçantes, suffocantes. Standing Between The Lovers Of Hell se diffuse lentement comme un poison, remontée acide qui oscille entre nausée d’angoisse et misanthropie paranoïaque. La suite est un mélange toxique de flottement vaporeux et de détresse sismique, et Frequency Meltdown bascule dans une de ces jams tourbillonnantes, répétitives et lysergiques dans lesquelles le groupe se jette à corps perdu.

« The Mirror Explodes » est un disque dangereux, malade, peut-être un reflet terrible de son époque… Une plongée dans un spleen insondable et Static Eyes en est la porte de sortie, mais ne débouche sur aucune promesse. On ne revient pas indemne d’expériences radicales. La douleur bourdonnante a seulement laissé place à un sifflement résigné ; et peut-être un rictus, car le miroir est brisé. Il n’y a plus rien à voir de toute façon.


Flavien Giraud


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15/06/2009

Dan Auerbach - « Keep It Hid » - V2/Cooperative Music




Chansons cachées


Dan Auerbach, ou la moitié des Black Keys en solo. Si le duo s’applique depuis le début des années 2000 à mitonner un blues organiques et crasseux, seul, le prolifique guitariste s’affranchit de toute contrainte. Résultat ? Un « Keep It Hid » aventureux mais sûr de ses bases ; l'étincelle, l'art et la manière intacts.

Voilà huit ans que le duo Auerbach-Carney distille au nom des Black Keys un fuzz-blues volcanique, sombre et râpeux. Dans l’ombre, les Black Keys ont enchaîné les albums à base de riffs jubilatoires et bouillonnants, jusqu’à l’excellent « Attack & Release », ouvert sur un son moins brut, plus riche et plus produit. Les valises encore pleines de chansons et le disque à peine sorti, Auerbach est rentré à la maison et a creusé ce sillon, orchestrant ses compositions avec quelques invités de son entourage, parmi lesquels son oncle, James Quine, ou la jeune Jessica Lea Mayfield - dont il a également produit le premier album. Percussions, claviers, guitare acoustique, tambourin, tout devient possible. Car si les Black Keys ont assis sa réputation d’héritier du blues, ce « Keep It Hid » montre le guitariste en héritier de l’Amérique au sens large : rock, garage, soul, folk, psychédélique…

Héritage d’or. Au détour d’un morceau, on pense aux Stooges (Street Walkin’), à Screamin’ Jay Hawkins (Mean Monsoon), à Ben E. King (When The Night Comes)… Et l’outro de Whispered Words a quelque chose du Wild Things des Troggs. Rien de déroutant pour autant, on reconnaît la patte du guitariste. La guitare est vivante : là, claire et apaisée, ailleurs, fuzz et mordante. Dan Auerbach est un artisan, qui travaille dur, tout le temps et avec amour. Et le résultat est là : on retrouve le son intemporel de l’âge d’or analogique. Dan habite un studio qui n’abrite que des machines antédiluviennes, qui respirent le souffle des lampes à tous les étages ; à des lieues du son numérique froidement traité par les ordinateurs d’aujourd’hui. Echo caverneux et slapback twangy sur When I Left The Room, tremolo haché menu sur Heartbroken In Disrepair. Dans sa voix comme dans ses compositions, Auerbach maîtrise son sujet pour mieux façonner les émotions, mélancolie autant que fièvre bourdonnante...

Bien entendu, il est question de ces dames, et les histoires de désespoir, de cœurs brisés et de larmes par litres reviennent à un moment ou à un autre. A l’aise dans les atmosphères électriques, comme sur Mean Monsoon, chargée de tension, ou dans le lancinant, sale et sexy I Want Some More, où la guitare vrombit, assise sur une pulsation rythmique énorme soutenue par un orgue sixties ; le chanteur se montre tout aussi pertinent dans les registres plus posés. Comme sur le très folk et dépouillé Trouble Weighs A Ton qui ouvre le disque, ou la poignante et intime ballade When The Night Comes. « You’re only dreaming », dit-il… Mais au creux de l’oreille, les sensations sont biens réelles. Après Goin’ Home qui clos l’affaire dans l’apaisement et la quiétude, demeure cette certitude : Auerbach est au faîte de son art, et sa musique intense et vraie.

Flavien Giraud


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Dan Auerbach (The Black Keys) : Interview




Stakhanoviste


On est prévenu, l’individu est peu bavard. C’est que le guitariste et chanteur des Black Keys, ici en escapade solo, n’est pas du genre à échafauder des théories sur tout et raconter sa vie. Plus à l’aise à faire gémir de vieilles guitares dans de vieux amplis qu’à discourir, Dan Auerbach est simplement un musicien, bourré de talent et bourreau de travail. Calme et posé avant son concert au Trabendo, le voici qui expose les faits, sans en faire des caisses…


Première question évidente : pourquoi ce disque en solo, en parallèle des Black Keys ?
Dan Auerbach : Je n’y ai pas vraiment réfléchi. J’avais ces chansons que j’avais déjà commencé à enregistrer et j’aimais vraiment la manière dont elles sonnaient. Mais je savais aussi que certaines ne conviendraient pas pour les Black Keys, celles plus douces, avec des harmonies vocales, plus d’instruments, des arrangements plus riches… J’ai donc décidé de finir l’album et de le sortir.

Mais il y a tout de même une continuité avec « Attack & Release » (dernier opus des Black Keys, sorti en 2008, ndr) dont le son, était déjà plus arrangé. Est-ce quelque chose que tu recherches aujourd’hui, aller au-delà du son très brut des débuts ?
Ce n’est pas quelque chose de prémédité. Je suis allé dans le studio et je l’ai fait comme ça. Il n’y avait pas de plan. Bon nombre de ces chansons ont été écrites à la même époque que celles d’« Attack & Release ». D’ailleurs, j’avais déjà enregistré la plupart des chansons d’« Attack & Release » de mon côté, avec les mêmes personnes que sur mon album solo : Oceans And Streams, Lies, I Got Mine, Things Ain’t Like They Used To Be

Le processus de création de ces chansons a-t-il été différent de celui avec Pat Carney au sein des Black Keys ?
J’écris toujours une chanson avec une idée globale de ce que je souhaite. Ensuite je la montre à Pat et on la transforme alors en une chanson des Black Keys. Là c’était la même chose : j’avais ces chansons qui étaient écrites, je les ai apportées à mon oncle, à mes amis, aux autres personnes qui jouent sur l’album… J’aurais pu les faire avec Pat, mais elles auraient été différentes et je voulais vraiment les jouer live avec tous les instruments, les percussions, la basse, les harmonies…

Qui sont les Fast Five, le groupe qui t’accompagne ?
Ce sont quatre mecs du Texas et un de Louisville, Kentucky, que j’ai rencontrés durant ces dernières années, ce sont de très bons musiciens, et des amis. Certains d’entre eux jouent dans le groupe Hacienda (produit par Dan, ndr), et l’un des batteurs et percussionnistes, joue aussi dans le groupe My Morning Jacket.



Ta voix semble avoir évolué depuis tes débuts, l’as-tu travaillée spécifiquement ?
Pas spécialement, mais quand tu tournes pendant des années, elle change un peu, forcément. Peut-être que ma manière de chanter au début était plus poussée, et à l’époque on ne jouait qu’une demi-heure lors des concerts. Mais aujourd’hui, nous devons jouer plus d’une heure chaque soir et je ne pourrais pas continuer comme ça, ma voix ne tiendrait pas.

Tu es également reconnu pour ton travail en tant que producteur, avec des groupes comme Radio Moscow ou Black Diamond Heavies, comment te sens-tu lorsque tu abandonnes ta place de musicien ?
J’adore être en studio, enregistrer des groupes… Et personnellement, ça m’aide en tant que musicien, ça m’apprend beaucoup : différentes approches, différents sons… J’ai donc fini par monter mon propre studio.

Tu enregistres chez toi, dans ton studio, avec des amis, ton oncle… Est-ce parce que tu aimes travailler de cette manière, sans pression, sans contrainte, en gardant le contrôle ?
Je travaille constamment quand je suis chez moi. Et c’est vraiment agréable, parce que je connais mon matériel, je sais comment il fonctionne, comment il sonne… Mais c’est aussi parce que je vis dans l’Ohio : il n’y pas de musiciens de studio là-bas, et ce serait difficile d’en faire venir chez moi, par avion, ça coûterait très cher ! C’est pour ça que je joue avec mes amis… On fait avec ce qu’on a !

Mais ça pourrait aussi être excitant justement de changer d’endroit, de conditions, de matériel, non ?
J’ai été dans d’autres endroits et ce n’est pas si excitant que ça ! J’ai enregistré à Abbey Road et dans d’autres studios, c’était très bien, mais je voulais un studio différent, à l’ancienne… La console analogique a tous ces potentiomètres que tu peux régler, tout est entièrement à lampes… C’est ça que je trouve excitant, j’aime ce vieux matos.

Es-tu déjà au travail sur de nouvelles choses ? Un nouvel album ?
Oui, on va aller en studio enregistrer un nouvel album des Black Keys dans quelques mois. Et j’ai aussi des chansons pour un autre disque solo. Je vais également enregistrer un deuxième album avec Jessica (Lea Mayfield, ndr) ; et il y a quelques autres groupes avec lesquels je vais travailler en studio.

Que ressens-tu en pensant aux huit années écoulées, à l’histoire des Black Keys ?
C’est complètement dingue. Ça a été incroyable et totalement inattendu. Je n’avais rien planifié de tout ça. Je ne suis qu’un mec lambda d’un petit patelin de l’Ohio !

Propos recueillis par Flavien Giraud


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10/06/2009

Seasick Steve : Itinéraire houleux d'un bluesman



"The Three-String Trance Wonder"
(La Maroquinerie, 25/02/09)

« My name is Steve and i'm your walking man »


A soixante ans passés, Seasick Steve a fait une arrivée tardive sur le devant de la scène. S'il a été vagabond une partie de sa vie, le bluesman originaire d'Oakland, Californie, n'a pas été sorti de sous un pont. Musicien de la première heure, il a simplement pris le temps d'enregistrer d'autres groupes avant de songer en 2004 à un premier album « Cheap » - suivi de deux autres en 2006 et 2008. Dès lors, concerts et tournées dans les festivals se sont succédés et ont mis au jour le talent brut et authentique du vieux barbu tatoué.


Like a hobo. La vie de Steven Gene Wold est à l'image des récits de ses chansons : riche en aventures, en anecdotes et en rebondissements. Steve a grandi entouré de bluesmen : son père, un pianiste boogie, l'a confié très tôt aux soins de K.C. Douglas qui lui a enseigné les rudiments de la guitare et lui a raconté des histoires – celles que les bluesmen se transmettent. Quand il se retrouve sur les routes à quatorze ans, réduit à une vie de hobo, il a le blues dans les veines. Il se déplace dans les trains de fret, vit de petits boulots dans les fermes, agrémentés de séjours en taule. Le tout avec une guitare, toujours, pour gagner sa croûte dans les moments les plus difficiles ou simplement jouer autour d'un feu. Ses années passées dans le sud des États-Unis, à Memphis, Tennessee, et dans le Mississippi n'ont fait que confirmer son attachement à ses racines blues.
Débarqué à San Francisco dans les 60s, et plus particulièrement dans le quartier de Haight Ashbury, Steve a joui de la grande vague hippie et a été témoin de l'âge d'or du rock'n'roll. Pourtant, il est resté attaché à ses origines musicales. Ce qu'il a appris dans sa jeunesse, c'est à raconter des histoires. Dans la grande tradition du blues, les bonnes histoires font les meilleures chansons, la musique est secondaire... Steve ne démordra jamais de cette croyance, et longtemps son style ne sera pas reconnu. Cette époque n'était pas la sienne. En 1972, la guitare sous le bras, il s'est donc exilé à Paris, où il a passé quelques temps à jouer dans les cafés, la rue et le métro, poursuivant son existence de vagabond.


"The Cigar Box Guitar"
(La Maroquinerie, 25/02/09)


Blues revival. Du temps s'est écoulé. Marié, Steve a regagné les États-Unis, avec le projet de travailler dans un studio d'enregistrement. Il a en effet appris le métier d'ingé-son sur le tas à la fin des années 60. Dans le Tennessee dans un premier temps, il choisit de s'installer près de Seattle, à Olympia, au début des années 90. Dans la ville berceau de Nirvana, c'est alors l'émergence du grunge. Steve monte son propre studio, Moon Studios, à l'arrière d'un magasin de musique – avec un temps pour voisin du dessus, un dénommé... Kurt Cobain – et commence à enregistrer les jeunes groupes du coin. 80 disques au total. C'est ainsi qu'il collabore avec Murder City Devils et autres Bikini Kill... et, en 1996, enregistre et produit le premier album de Modest Mouse « This Is A Long Drive For Someone With Nothing To Think About ».
Lors de concerts avec le bluesman R.L. Burnside, Steve prend conscience que son boogie blues et sa technique de slide peuvent plaire, (R.L. Burnside a entre autres enregistré l'album « A Ass Pocket Of Whisky », en 1996, avec l'aide du Jon Spencer Blues Explosion). Mais c'est surtout l'intérêt initial du label Fat Possum Records pour les bluesmen du nord du Mississippi qui le convainc pour de bon de se remettre à jouer.

"The Cigar Box Guitar" & "The Mississippi Drum Machine"
(La Maroquinerie, 25/02/09)


En 2001, Steve quitte les États-Unis pour la Norvège (le pays d'origine de sa femme) et emmène avec lui famille et studio. Sur place, il continue d'enregistrer, et crée son label : There's A Dead Skunk Records. Mais quand il se décide enfin à enregistrer son premier album « Cheap », en 2004, avec le groupe suédois The Level Devils, il essuie de lourds revers de fortune : la faillite de son label et une attaque cardiaque... Malgré tout, il se remet à la tâche deux ans plus tard, seul cette fois, dans sa cuisine, sur un enregistreur 4-pistes. Le résultat attire l'attention du label indépendant britannique Bronzerat qui produira son deuxième album, « Dog House Music ». C'est le début de la notoriété : on l'invite à jouer dans des festivals, et à faire les premières parties de gros groupes. Il rencontre notamment Nick Cave de cette façon et celui-ci, avec son groupe Grinderman, participe à l'enregistrement du troisième album de Steve au titre éloquent : « I Started Out With Nothin' And I Still Got Most Of It Left » (2008). Sur cet album, enregistré avec le batteur Dan Magnusson – un ancien membre de The Level Devils, qui l'accompagne aussi en tournée – il utilise les guitares de bric et de broc et aux noms invraisemblables qu'il fait défiler lors de ses concerts, (voir photos), et qui rendent son personnage encore plus rocambolesque et attachant. Car sur scène Seasick Steve communique son plaisir d'être apprécié à sa juste valeur et à 68 ans il partage ses histoires et son boogie avec une incroyable énergie et une superbe bonhomie.

Céline M.


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03/06/2009

Eels - « Hombre Lobo : 12 Songs Of Desire » - Vagrant




Chienne de vie


« Hombre Lobo : 12 Songs Of Desire », le septième album studio des Américains Eels est sorti hier. Le leader du groupe Mark Oliver Everett, dit E, s'est entouré pour son enregistrement des inéluctables Kool G. Murder (basse, clavier, guitare) et Knuckles (batterie, percussions). Dans ces douze chansons sur le désir, E reprend les recettes de ses débuts, époque « Beautiful Freaks » (1996), et ça fonctionne plutôt bien.

Pas facile la vie d'hombre lobo, (le loup-garou espagnol). En douze étapes, le nouvel album de Eels raconte en effet les tribulations amoureuses du garçon à tête de chien, Dog Faced Boy, du premier titre de « Soul Jacker » (2001). Ce personnage a grandi et il éprouve du désir, un désir animal bien sûr. Pour mieux rentrer dans sa peau – de bête –, E arbore une barbe plus longue encore qu'à l'époque (en 2001, cet artifice lui avait valu de repousser la sortie de son album, initialement prévue en septembre...). Derrière ces poils hérissés et ces lunettes noires, se cachent pourtant des questionnements et des doutes. L'homme-loup de cet album passe par toute une palette d'émotions. De sa voix toujours plus éraillée le chanteur évoque, sur des petits airs mélancoliques dont il a le secret, la douleur d'aimer et la solitude d'un être qui se sait différent des autres (The Longing, All The Beautiful Things). Il s'abandonne à rêver à l'objet de ses désirs (In My Dreams), et à espérer un simple regard de sa part dans That Look You Give That Guy : « That look you give that guy, I wanna see / Looking right at me.» Puis c'est le renoncement avec My Timing Is Off.

Rock animal. Mais le sentimentalisme n'a qu'un temps. Place au rythme et au rock. Prizefighter est la chanson d'un homme qui sait ce qu'il veut et de quoi il est capable pour remporter le cœur convoité. L'excitation monte avec Tremendous Dynamite, « She's tremendous / She's dynamite ». La bête a faim, et la frustration la fait sortir de son antre à la tombée de la nuit. Dans le clip de Fresh Blood, aux images voilées de rouge, l'inquiétant E arpente des rues désertes et traque sa proie sans relâche : « Sweet baby, I need fresh blood ». L'animal suit ses instincts les plus primaires et le chanteur parsème le morceau, le meilleur de l'album, de « whoo » sauvages et de hurlements bestiaux. « Hombre Lobo » se conclut tout de même sur une touche romantique, façon rédemption, avec Ordinary Man : « And you seem like someone / Who could appreciate the fact / That I'm no ordinary man. »

On pourrait voir dans ces douze chansons une autobiographie du chanteur solitaire qu'est Mark Everett mais cette créature nocturne qu'il incarne n'est peut-être que son double sombre et dévoyé. A défaut de chercher d'autre compagnie que celle de son chien Bobby Jr., E doit être homme à se satisfaire de plaisirs solitaires... comme d'une boîte de cigares cubains Cohiba dont le graphisme a inspiré la pochette de l'album !

Céline M.




Photo : site officiel

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